Parlons de transidentités avec délicatesse – Chronique

Que Manel, fils unique d’une riche famille de Barcelone, devienne Andréa, impensable pour sa mère incestueuse et son père absent, coureur de jupons ! La première souhaite la mort de son fils pour sauver la réputation sociale de sa famille, le second le menace de répressions physiques et financières. « Dans un élan de courage ou de folie, je leur ai avoué que je ne m’étais jamais, jamais ressenti comme un garçon, que mon rêve le plus intime était de vivre comme une femme, de devenir une femme. Que n’avais-je pas dit ! Si je leur avais annoncé que j’avais la peste ou un cancer, ils l’auraient mieux pris. Mais un transgenre dans la famille ? C’était intolérable, inenvisageable. Je leur ai expliqué que je souffrais tellement, que j’envisageais le suicide comme solution et ma mère, sans hésitation me rétorqua :« C’est la chose la plus intelligente que tu aies dite mon garçon ! Si seulement tu en avais le courage, tu nous sauverais de cette honte. »

C’est avec ce bref parcours de vie que Patrick’s O’nolan, thérapeute nomade, ouvre son ouvrage  Parlons de transidentités avec délicatesse ou le sexe inclusif, dédié à son ami transgenre Deux Esprits. De Manel, j’ai gardé l’image d’un gosse et d’une plage, avant que la mer ne l’emporte, lui et son nounours.

Naître dans un corps et se sentir autre. Ne pas être soi. Être ci alors que l’on veut être ça. Mal dans sa peau. Elle est née fille, elle se sent garçon. Il est né garçon, il se sent fille. On les appelle transgenre. Et je n’aime pas ce mot qui les dépouille de leur identité d’être humain, les renvoyant dans un no man’s land sociétal. Nos préjugés tracent l’image brouillée d’une personne qui fut et qui est devenue autre. Les seins bandés, le pénis planqué. On imagine peu leur souffrance muette, celle-ci ne se partageant jamais. Elle leur appartient et dérange nos convenances d’hétérosexuels, même si à la puberté, il nous est arrivé de nous poser la même question. Fille ou garçon ? Ce questionnement qui nous a traversés fugitivement et souvent plus en rapport avec les avantages que la société attribue à un sexe ou à l’autre, s’impose aux transgenres comme une évidence douloureuse. Que faire de cette dichotomie qui vous échappe, s’impose comme étant votre véritable nature, tout autant qu’elle vous exile de la vie, vous enferme dans l’antre de la peur, vous privant de la capacité à être pleinement heureux ?

Cette contradiction intime, cette malédiction aussi vieille que l’être humain, n’avait, jusqu’à très récemment, d’autre réalité pour l’opinion publique, que sa négation. L’homosexualité masculine ou féminine, passe encore. Mais le transgenre ?

Cet ouvrage qui « ne se veut ni didactique, ni exclusivement médical, moraliste ou je ne sais quoi d’autre. », mais dont le but est de « provoquer un intérêt, des discussions constructives, un regard bienveillant et ouvrir de nouveaux territoires mentaux. », fait sortir de leur anonymat avec tendresse et bienveillance, sans le « compassionomètre » de la repentance obligée entre le « je ne savais pas que… » et le « si j’avais su », les nuits et les jours d’Alonso, devenu Brigitte, de la Hijra Chokki, du vieux Franciscain, Eusebio qui au terme de sa vie, renaît en Estrella, de la toute jeune Alejandra, chanteuse de flamenco, qui continue à entretenir le « duende » tel que l’a défini Lorca, dans la voix de Rodrigo, de Jordi le biker qui a la nostalgie de son autre identité quand il s’appelait Montserrat, de Francesca et de son frère Sergio qui oscillent entre deux mondes, celui de leur refus et de leur acceptation, de Ana, née garçon, qui rêve d’être enceinte, de la jeune Magali, boule d’égoïsme et de colère, qui désire être homme et en même temps le refuse, du soixantenaire japonais, Mr. Nakamoto, maître en arts martiaux, qui appartient au troisième genre, celui de la non binarité, et enfin de Sebastiano qui se vit en femme, en se travestissant.

On les suit dans leur parcours, souvent chaotiques. Certains sont liés à des traumas d’enfance, inceste, viol, abandon réel ou fictif ou banal désistement des parents. D’autres répondent à une quête d’identité qu’ils ont dans la peau depuis leur plus jeune âge, quête devenue peu à peu traumatisante de par le rejet de leurs familles et de leur proches, les condamnant de facto à une solitude mutique. Parfois, ils la résolvent en fuyant dans l’alcool, la drogue ou l’envie de se suicider, histoire de vivre en paix. Beaucoup s’affrontent aux conséquences peu abordées par la médecine officielle de leur transformation physique : hormonothérapie lourde, opérations chirurgicales irréversibles, façonnement d’une nouvelle plastique. Traitements qui ne sont ni anodins, ni sans danger pour la santé et dont les effets iatrogéniques à long et à court terme sont souvent passés sous silence.

Autant de récits de vie, chacun émaillé de commentaires. Non pas de simples monologues se limitant strictement au thérapeutique, mais des dialogues avec les élèves du narrateur. Le questionnement, la prudence et le doute se substituent au dogmatisme forcené de la culture woke, de laquelle l’auteur trace un portrait tout en subtilités.
Ouvrage également truffé de réflexions sensibles sur l’anorexie, l’acédie, la nostalgie et plus largement sur notre époque et ses dérives.

Parlons de transidentités avec délicatesse ou le sexe inclusif est un généreux partage d’expériences vécues par Patrick’s O’nolan, qui suscitera sans doute chez le lecteur lambda, dont je fus, de l’étonnement tant le mot transgenre se résume à l’énoncé évanescent, voire virtuel, d’un concept tendance. De la culpabilité aussi à mesurer à quel point la normalité peut nous rendre mesquin et soumis aux paradigmes sociétaux.
L’auteur remet aussi à sa place le devoir du Thérapeute, art auquel devrait tendre quiconque prétend soigner l’Autre.

« La maladie pour les thérapeutes, nous dit-il, vient de ce que l’homme a perdu « l’orientation juste » de son désir. Être malade, c’est être à côté de son vrai désir, pas celui des autres, et la santé, c’est être proche de son désir le plus intime, le plus essentiel. Quel est notre vrai désir ? Quand on peut réellement répondre à cette question, on n’est pas vraiment perdu. Pour le Thérapeute, l’important est d’écouter, d’interpréter les symptômes, mais aussi et surtout, d’avoir une qualité d’être. La guérison se fait d’Être à Être, de Cœur à Cœur…[…]… Aujourd’hui, quand on va consulter un thérapeute, la première question que l’on doit se poser, à l’instar des Thérapeutes d’Alexandrie, est : va-t-il prendre soin de moi, va-t-il m’aider à découvrir, me révéler mon désir, mes images, mon être ? Ce n’est pas gagné, n’est-ce pas ? Il y a plus de représentants et de distributeurs de médicaments que de Thérapeutes ! »

Et pour accompagner la lecture de ce livre, ces mots d’Amrati dont Patrick’s O’nolan fut l’élève durant des années : « L’Homme n’est pas absolument défini parce qu’il est une entité en constante évolution, il vient d’hier, il est fait de l’instant et il sera de demain. »

 

© Mélanie Talcott – 02/12/2022 .
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